La mémoire de l'éléphant
Les éléphants voyagent sur des routes anciennes qui ont été empruntées depuis de nombreuses générations. Ils traversent les rivières uniquement lorsqu'ils savent ce qui se trouve de l'autre côté. Tout comme nous, leur longue vie et leur excellente mémoire leur permettent d'accumuler une énorme quantité de connaissances. Et comme nous aussi, leurs liens familiaux solides leur permettent de partager ces connaissances entre eux.
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Les éléphants n'ont sans doute pas la meilleures vue du règne animal, mais ils n'oublient jamais un visage. Carol Buckley, du Elephant Sanctuary de Hohenwald (dans le Tennessee), rapporte par exemple qu'en 1999, Jenny, une éléphante résidente, est devenue anxieuse et a eu du mal à se contenir lorsqu'elle a rencontré la nouvelle venue Shirley, un éléphant d'Asie.
Alors que les animaux se scrutaient à l’aide de leur trompe, Shirley s'est elle aussi animée et les deux éléphantes, qui donnaient l’impression de se connaître, ont semblé vivre un festival d’émotions. "Il y avait une réelle euphorie", dit le fondateur du sanctuaire, Buckley. "Shirley s’est mise à barrir, puis Jenny aussi. Les deux trompes auscultaient les cicatrices de l'autre. Je n'ai jamais rien vu d'aussi intense sans que ce soit non plus de l'agressivité".
Il s'avère que les deux femelles s'étaient brièvement croisées des années auparavant. Buckley savait que Jenny avait joué avec le cirque itinérant Carson & Barnes, avant de venir à Hohenwald en 1999, mais elle savait peu de choses sur le passé de Shirley. Après avoir creusé le sujet, elle découvrit que Shirley était resté quelques mois dans le même cirque que Jenny pendant quelques mois - 23 ans plus tôt.
Les chercheurs pensent que la capacité mémorielle remarquable est la raison principale qui permet aux éléphants de survivre. Les éléphantes matriarches, en particulier, détiennent une réserve de connaissances sociales acquises pendant une période de plus de 40 ans dont leurs familles ne peuvent guère se passer, selon les recherches menées sur les éléphants du parc national d'Amboseli au Kenya.
La matriarche sait toujours quelles sont les spécialités de saison qui vont être au menu. Elle se souvient parfaitement de l'endroit où les babouins leur ont envoyé un signal d’alarme dans le passé, même si ces derniers y étaient perchés à plus de 20 mètres (en effet, les babouins et les éléphants ont une relation privilégiée ; les babouins se servent des trous d’eau créés par les éléphants pour étancher leur soif et, en échange, s’ils perçoivent un danger depuis les pointes des arbres sur lesquelles ils sont perchés, ils donneront l’alerte aux éléphants).
Des chercheurs de l'Université du Sussex, en Angleterre, ont découvert que les groupes d'éléphants ayant une matriarche de 55 ans (les éléphants vivent de 50 à 60 ans environ) étaient plus susceptibles de se réunir dans une position défensive que ceux ayant une matriarche de 35 ans lorsqu'ils étaient confrontés à un éléphant inconnu. La raison : ils étaient conscients que de tels étrangers étaient susceptibles de déclencher des conflits avec le groupe et de nuire éventuellement aux éléphanteaux, a rapporté Karen McComb, psychologue et comportementaliste animalier à Sussex, et ses collègues, dans le magazine Science.
D'autres chercheurs, qui ont étudié trois troupeaux d'éléphants pendant une grave sécheresse en 1993 dans le Parc national du Tarangire en Tanzanie, ont constaté que non seulement ils se reconnaissaient les uns les autres, mais qu'ils se rappelaient aussi les itinéraires vers des sources alternatives de nourriture et d'eau lorsque leurs zones habituelles s'asséchaient.
Les scientifiques de la Wildlife Conservation Society (WCS) de New York ont rapporté dans Biology Letters que des groupes de pachydermes dont les matriarches étaient âgées de 38 à 45 ans avaient quitté le parc desséché, apparemment à la recherche d'eau et de nourriture, mais ceux qui avaient une matriarche plus jeune, âgée de 33 ans, sont restés sur place.
16 des 81 bébés éléphants nés dans le parc cette année-là sont morts au cours d'une période de neuf mois, soit un taux de mortalité de 20 %, beaucoup plus élevé que les 2 % habituels ; 10 des 16 éléphanteaux morts provenaient du groupe qui est resté dans le parc, où les aliments et l'eau étaient rares.
Les chercheurs ont conclu que les éléphants les plus âgés se souvenaient d'un épisode de sécheresse dans le parc qui avait duré de 1958 à 1961, et de la façon dont leurs meutes avaient survécu aux maigres récoltes en migrant vers des zones plus luxuriantes situées à une certaine distance. Aucun des éléphants qui sont restés n'était assez vieux pour se souvenir de la période de sécheresse précédente.
Les éléphants semblent aussi capables de reconnaître et suivre l'emplacement de 30 compagnons à la fois, comme l’ont découvert le psychologue Richard Byrne de l'Université de Saint Andrews en Ecosse et d'autres chercheurs lors d'une étude menée en 2007 à Amboseli.
"Imaginez que vous emmenez votre famille dans un grand magasin bondé, et que les soldes de Noël sont en cours", explique Richard Byrne. "Quelle tâche prenante que de savoir où se trouvent quatre ou cinq membres de la famille. Eh bien, ces éléphants le font avec 30 compagnons de voyage".
Les scientifiques ont testé cette mémoire en plaçant des échantillons d'urine devant les éléphants femelles, qui les ont vérifiés minutieusement avec leur trompe et qui ont fait des leurs lorsqu'elles en ont trouvé une qui ne provenait pas d'un membre de leur groupe et qui n'aurait donc pas dû être là. "La plupart des animaux qui évoluent en meute, comme les cerfs, n'ont probablement aucune idée de qui sont les autres membres de leur meute", affirme Byrne. Mais les éléphants "connaissent presque certainement tous les membres de leur groupe".
Une telle "mémoire de travail" est "bien en avance sur tout ce que les autres animaux ont pu démontrer", ajoute Byrne, et aide l'éléphant à surveiller les unités familiales qui se déplacent, cherchent de la nourriture et socialisent ensemble.
Diana Reiss, spécialiste des sciences cognitives à la WCS, et ses collègues de l'Université Emory d'Atlanta, ont rapporté en 2006 dans les "Proceedings of the National Academy of Sciences USA" que les éléphants sont capables de reconnaître leurs reflets dans un miroir. Cette capacité n'est connue que chez trois autres familles d'animaux, tous des mammifères : les dauphins, les humains et les singes, réputés pour leurs capacités cognitives.
Le zoologiste Iain Douglas-Hamilton, fondateur de Save the Elephants à Nairobi, au Kenya, est une autorité en matière de pachydermes qu'il étudie depuis les années 1960. "Ce sont des animaux qui vivent longtemps, et la mémoire serait un avantage pour un animal qui vit longtemps, ce qui le rendrait plus adaptable aux circonstances", explique-t-il. "Il est clair que si les éléphants connaissent des conditions climatiques extrêmes et qu'ils peuvent se rappeler où se trouve la nourriture pendant une année, ils peuvent survivre".
Pour conclure, on peut effectivement dire que les éléphants font partie des créatures les plus évoluées de la Terre. Et une chose est sûre : Dumbo est tout sauf idiot !